(French) Interview of Sal La Rocca


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(French) Interview of Sal La Rocca

(french): Début de l’année, Sal La Rocca, l’un des contrebassistes belges les plus demandés sur la scène jazz, sortait son deuxième album personnel chez Igloo. Après «Latinea» en 2003, voici «It Could Be The End», titre énigmatique qui, plutôt qu’une fin, pourrait être le début d’une belle aventure. L’album est lumineux et extrêmement bien balancé. Un véritable disque de jazz actuel, qui mêle le passé et le présent et dans lequel Sal, entouré de Hans Van Oosterhout (dm), Lorenzo Di Maio (eg), Pascal Mohy (p) et Jacques Schwarz-Bart (ts), donne le meilleur de lui-même. Il y a du swing, du groove, de la force et de la tendresse. Allez écouter le sensuel “Bluemondo”, l’envoutant “Lazy Lion” et les solides “Osuna” et “It Could Be The End”… Autant dire qu’on a hâte de voir tout ce beau monde sur scène. En attendant, je me suis retrouvé un dimanche après-midi face à ce musicien “entier”, aux idées bien affirmées.
Ton dernier disque s’appelle “It Could Be The End”. C’est sans doute la question que tout le monde te pose mais, n’est ce pas un titre un peu pessimiste?
(Rires) Oui, il y a même des gens que cela dérange. Mais, voilà, j’avais composé ce morceau et il fallait bien lui trouver un titre. Parfois on trouve le titre avant, parfois après. Et là, j’étais dans ma chambre, j’ai levé les yeux, j’ai regardé autour de moi et je me suis posé la question que tout le monde se pose presque chaque jour : ”Est-ce que tout cela va durer?”. Et c’est vrai que ce morceau a quelque chose d’un peu chaotique et d’incertain, surtout sur la fin. Mais le titre est plutôt optimiste pour moi, il va plutôt dans le sens du “renouveau”. Même si l’album est sorti en 2012, il n’y a pas de rapport avec la fin du monde qui est prévue pour 2012… Ça, je n’y suis pour rien (rires).
Quand a-t-il été enregistré ?
L’année dernière, au mois d’août. Mais cela a pris un temps fou avant sa sortie car je voulais – et cela, personne ne le sait – intégrer une reprise d’un titre d’ABBA chanté par Dani Klein de Vaya Con Dios. On l’a même enregistré. C’était vraiment bien. Mais quand j’ai demandé la permission de l’utiliser, on me la refusée. On a pourtant essayé et demandé à plusieurs reprises, mais il y a toujours eu un refus. Il faut s’appeler Justin Bieber pour pouvoir faire ça, sans doute.
Comment as-tu formé le groupe, et pourquoi avoir choisi ces musiciens-là ? Quels étaient tes critères?
Hé bien, je me plains souvent, ça, tout le monde le sait (rires). Je pense que beaucoup de musiciens sont des professeurs avant d’être des musiciens. Mais ce n’est pas de leur faute, certains sont obligés de faire ça, c’est le «système» qui veut ça. Moi, je voulais des musiciens qui avaient surtout, et avant tout, un véritable esprit jazz. Alors, j’ai appelé mon vieux pote Hans Van Oosterhout, que je connais depuis plus de vingt ans. Et puis j’ai pensé à Pascal Mohy, que j’ai appris à connaître et qui a une oreille et un esprit monstrueux. Ensuite, il y a eu Lorenzo Di Maio, pour ce même état d’esprit. Et enfin Jacques Schwarz-Bart… pas la peine de dire pourquoi.
L’envie d’intégrer un sax, celui de Jacques Schwarz-Bart en particulier, était claire et précise dès le début de l’écriture ?
J’avais enregistré avec Jacques sur l’album d’Olivier Hutman en 2005. On s’est lié d’amitié et on a joué ensemble plusieurs fois par la suite, sur ses projets ou sur les miens. J’ai donc pensé à lui, car il a un super esprit et une façon de jouer à la fois très roots et très moderne. Mais je n’avais pas écrit mes morceaux en pensant à lui spécialement. Il se fait que mes compos étaient écrites depuis un petit bout de temps déjà et j’ai fait coller les musiciens à la musique ce que j’ai écrite.
Tu avais également l’idée d’introduire une guitare aussi ? Celle de Lorenzo en particulier ?
J’avais de toute façon l’idée d’une guitare. Apparemment, je ne sais pas me passer d’une guitare. Il y en avait déjà deux sur mon album précédent, celles de Peter Hertmans et Jacques Pirotton. Je crois que cela me tient à cœur. Mais je ne voulais pas reprendre les mêmes, puisque lorsqu’on a décidé de changer, il faut vraiment changer. J’ai pensé à Lorenzo parce qu’il a un petit truc différent. Je ne dis pas qu’il a quelque chose en plus, mais quelque chose de différent. Et puis, en plus, il est à moitié sicilien comme moi (rires).
Quand vous avez commencé à jouer tous ensemble, la musique a-t-elle encore évolué dans une certaine direction ou tu avais une vision bien précise de ce que tu voulais ?
J’avais plus ou moins un schéma précis. Mais, disons que je ne suis pas un leader au sens stricte du terme. C’est un peu comme si je m’engageais dans mon groupe, plutôt. Le leader, c’est la musique. Et puis, je suis très ouvert  pendant un enregistrement. Alors, en effet, des choses ont changé au cours de l’enregistrement, mais il ne s’agissait pas de choses fondamentales. L’ossature était assez solide.
Tu laisses, en effet beaucoup de libertés aux musiciens et tu fais même jouer du Fender à Pascal Mohy…
Absolument. C’est vrai qu’il est “très piano”, mais il a un Rhodes chez lui, il en joue de plus en plus et puis, parfois, quand il n’y a pas de piano dans un club, il faut trouver des solutions. Mais cela apporte surtout une autre couleur et enrichit certains morceaux. Et quand j’ai demandé à Pascal de jouer cet instrument, il a accepté très vite. C’est vrai que je ne suis pas un contrebassiste qui se “met en avant”.  J’aime cette place de sideman, c’est vrai. C’est déjà tout un monde en soi. Donc, si je fais un disque, j’aurais tendance à garder le même rôle. Ce ne sera pas un disque de contrebassiste avec des soli interminables. De plus, je ne me considère pas comme un virtuose. J’essaie plutôt de partager mes expériences dans ce disque. Et si je dis que je ne suis pas leader, il s’agit quand même de ma musique. Elle est représentative de ce que je suis. Je suis le propriétaire des morceaux, si on peut dire, mais les portes sont toujours ouvertes aux bonnes idées.
Tu composes depuis longtemps?
Non, cela est venu assez tard. Après avoir acquis une certaine expérience.
Le fait d’avoir été sideman de Toots, de Jacques Pelzer, de Nathalie Loriers pendant longtemps, d’Anne Ducros, de Vaya Con Dios – la liste est très longue – a-t-il fait évoluer ta façon de jouer ou de concevoir la musique?
Tout à fait. J’ai accompagné pas mal de musiciens belges, au départ, comme Nathalie Loriers ou Diedrik Wissels et puis plein d’étrangers aussi. Il y a donc l’expérience qui s’acquiert au fil des ans, on finit par comprendre les choses. Mais il y a quelque chose d’innée aussi, je l’avoue. Lorsque j’ai composé les morceaux de mon premier album, en 2003, c’étaient des premiers jets et pourtant, Eric Vermeulen me disait que cela tenait debout, que c’était cohérent, qu’il y avait tout ce qu’il fallait. Il n’y avait pas de quoi crier au génie, certes, mais il y avait la structure pour raconter une histoire du début à la fin.
Tu as appris tout ça sur le tas. Tu es un parfait autodidacte.
Plus autodidacte que moi, ce serait difficile.
Cela permet d’apprendre d’une certaine façon ? Actuellement, on apprend beaucoup dans les conservatoires, les académies… Toi, c’était plus la méthode traditionnelle, dirons-nous. Tu sens, chez les jeunes, une manière différente de jouer ou d’appréhender le jazz par ceux qui ont fait le conservatoire et les autres ?
Oui, il y a une grosse différence. Mais certains arrivent à posséder les deux styles. C’est à dire qu’ils connaissent les bases et ont, en même temps, une personnalité très forte. Car le gros risque, à mon avis, c’est d’avoir un même professeur pendant cinq ans et de sortir de là en étant le clone de ce professeur. C’est ce qui arrive dans soixante pour cent des cas. Quand j’entends des jeunes qui sont sortis du conservatoire, je peux dire rapidement avec qui ils ont eu cours. Cela peut être problématique car une des qualités premières d’un musicien est de le reconnaître dès les premières notes.
A moins d’être un prodige, cela se définit avec les années, qu’il y ait conservatoire ou pas, non ?
Oui c’est sûr. Mais il faut aussi savoir ce que l’on veut dans la vie. Espérer que cela te tombe tout cuit du ciel ou chercher toi-même ta personnalité. En ce qui me concerne, je n’ai pas cherché pour chercher mais, en jouant concerts sur concerts, j’ai appris. Et toujours de manières différentes. Pendant un moment, j’étais beaucoup chez Jacques Pelzer à Liège, parce que j’habitais à quelques centaines de mètres de là, et j’ai vu défiler un maximum de jazzmen avec qui j’ai eu la chance de jouer. Et pas des moindres. Ça c’est une chance.
Dans ces moments-là, est-ce que ces jazzmen te demandaient de jouer d’une certaine manière ?
Je débutais à l’époque, je n’étais nulle part. Je n’avais aucun background. Je jouais comme je le ressentais, avec mon propre et mince bagage. Avec beaucoup d’instinct, surtout. J’écoutais les conseils de Steve Grossman, Dave Liebman, John Thomas, qui passaient souvent là-bas, de Steve Houben aussi, qui m’a mis définitivement le pied à l’étrier. Je dois beaucoup à tous ces gens. Et puis, Jacques Pelzer me disait souvent des petites phrases qui n’avaient pas l’air d’être importantes et pourtant… Par exemple : “Play simple and strong”. Ça à l’air con, mais il faut garder ça en tête. Quand on est un peu busy, on pense à ça, on se calme et on y va. Ce sont des conseils en or.
Tu appliques ça aussi dans tes compositions ? Tu essaies de garder un fil conducteur plutôt que de te laisser tenter à faire compliqué pour faire compliqué ?
Le premier disque était peut-être un peu dans cette veine là. C’était peut-être un challenge pour moi, pour me prouver que je pouvais faire « sophistiqué » aussi. Quand tu écoutes certains jazzmen belges, il faut se lever tôt pour comprendre quelque chose. A l’époque, j’étais un peu dans ce mouvement-là, dans cet esprit-là. Mais en même temps, il y avait du lyrisme. C’est mon côté méditerranéen… un peu blanchi… car je suis né ici (rires). Mais il y avait des choses intéressantes que j’ai gardé pour la suite. Et dix ans après, pour ce nouvel album, j’en ai tiré les leçons. “It Could Be The End” est aussi simple que complexe, mais toujours accessible. Je trouve, bien sûr, qu’il est beaucoup plus réussi. Là, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose qui pourrait marquer.
A quoi fais-tu le plus attention? Aux harmonies, aux mélodies…?
Pour moi, c’est surtout la mélodie qui prime. Ce qui me tenait à cœur, le challenge que je m’étais fixé, c’était de relier l’émotion et le cérébral. Car il y a inévitablement des trucs  parfois un peu complexes dans ma musique. Mais je voulais des mélodies que l’ont puisse presque siffloter.
Tu composes de quelle manière ? A la table, avec ta contrebasse, au piano?
A la guitare. J’étais guitariste de rock, de hard rock même, avant de me mettre à la contrebasse et au jazz. C’est donc plus naturel pour moi de chercher des accords et des mélodies à la guitare.
Tu n’as jamais été tenté de passer à la basse électrique?
Si parfois. De temps en temps, je m’y adonne puisque avec Vaya Con Dios, je joue aussi de la basse électrique. Mais, si je devais reprendre la guitare, ce serait avec plein de distos, pour faire ce que je faisais avant, avec une pointe de modernité en plus. Pourquoi pas?
On pourrait te demander de prendre la basse électrique ou alors on t’a définitivement “classé” dans un type de jazz ?
Tout à fait, je suis étiqueté. Mais, de toute façon, des bassistes électriques, il y a en a un paquet, et ils jouent tous très bien, donc je ne vois pas l’intérêt, pour l’instant, d’aller y mettre mon grain de sel. Et puis, il ne faut pas oublier que je suis encore et toujours très amoureux de la contrebasse. Je n’en ai pas fini, c’est un instrument qui m‘étonne encore.
Y a t-il des contrebassistes que tu écoutes et qui sont des influences majeures pour toi ? Y a-t-il un certain type de jazz que tu écoutes plus volontiers qu’un autre ?
Je suis assez épris de Scott LaFaro, bien sûr, avec le trio de Bill Evans. C’est pour moi le must. On parle souvent de “l’art du trio”, mais celui-là est inégalable. Et Scott LaFaro est incroyable. On le sent instinctif, on le sent à la recherche tout le temps. Il jouait avec le cœur et les tripes. Et celui qui, pour moi, actuellement possède toutes ces qualités, c’est John Patitucci.
Le trio c’est la quintessence du jazz et est assez idéal pour un contrebassiste. Est-ce plus difficile de s’exprimer en quintette ?
C’est une question d’esprit. On peut jouer en quintette ou en quartette avec un esprit de trio. Un bon exemple, c’est le quartette de Jan Garbarek, Keith Jarrett, Palle Danielsson et Jon Christensen. Ça jouait avec l’esprit du trio. Tout le monde était en interactivité, ce n’était pas l’accompagnement d’un soliste. Palle Danielsson n’arrête pas de faire des contrepoints, puis il reprend la mélodie en même temps que Jarrett ou Garbarek. C’est la preuve par quatre qu’on peut jouer en groupe avec l’esprit du trio.
C’est cela que tu as essayé de garder dans ton quintette ?
C’est la raison pour laquelle il faut laisser pas mal de liberté et ne pas imposer une couleur trop définie. Encore une fois, les portes sont ouvertes et puis, il faut de la complicité et de la confiance. C’est comme dans la vie. Il faut avoir confiance à 100% dans les personnes que l’on choisit. Si on est à 90%, c’est qu’il y a un problème. Il faut être à 100%. C’est parfois ce qui manque à la scène jazz en Belgique. On a parfois peur que l’un ou l’autre ne joue pas comme on le veut. On le canalise trop.
N’est ce pas dû au fait que les groupes n’ont pas l’occasion de jouer beaucoup et régulièrement ensemble ?
Bien sûr. C’est un gros problème. Il y a beaucoup de demande et pas assez d’offre. Beaucoup se sont sacrifiés pour cela. Même si ce n’était pas simple avant, actuellement c’est encore plus difficile. Avant je réglais un gig en une heure, maintenant c’est trois semaines. C’est quarante e-mails, dix sms et cinq coups de fil… Bref, tu as déjà liquidé ton cachet avant de jouer ! C’est vrai qu’il y a beaucoup de monde mais il y a aussi certaines institutions qui “occupent” un peu assez bien l’espace. En tout cas, ils couvrent une grande zone. C’est un bien et c’est un mal à la fois. Grâce aux Jazz Tours ou aux Jazz Lab Series, les tenanciers ne paient que la moitié du cachet… C’est bien mais… si tu rates ce train-là, quand tu arrives avec ton groupe et que tu annonces un prix “normal”, c’est la galère. C’est un peu épuisant. Moi, je suis indépendant, c’est donc moi qui calcule mon prix. Et, trouver moi-même un engagement et annoncer le prix, qui est honnête par rapport à ce que l’on sait faire, c’est devenu très difficile, voire impossible.
Pour les disques c’est difficile aussi, je suppose ? La distribution, la diffusion, tout cela n’est pas simple.
C’est tout aussi compliqué car le marché est dix fois, quinze fois plus large qu’avant. Et les gens achètent moins de disques qu’avant. On a un nouveau rapport avec le disque. Avant, on attendait la sortie d’un disque, on allait et retournait chez le disquaire pour savoir s’il était dans les bacs. Maintenant, on pianote et on trouve tout sur le web. C’est bien aussi, mais on écoute autrement. Ça passe plus vite. Moi, je veux qu’on écoute ma musique, qu’on s’y arrête…
Le disque ne sert-il pas plus de présentation ?
Oui, car pour trouver des concerts, il faut du concret ! C’est paradoxal. Mais le cd est là pour marquer le coup aussi. C’est un jalon indispensable.
C’est pour cela que les concerts sont importants aussi, pour voir et entendre quelque chose d’unique, entendre comment la musique évolue ?
Oui c’est important. Même si l’on joue ce qu’il y a sur le disque, on le jouera toujours différemment, car un jour n’est pas l’autre. C’est pourquoi il faut jouer et tourner. Et c’est cela qui est difficile. Mais un groupe qui ne joue pas, c’est un groupe qui n’existe pas. On en est tous un peu là, malheureusement. On fait des disques, mais on ne joue pas.
En tant que sidemen, tu as joué et tu joues encore beaucoup hors de Belgique. Tu as des possibilités pour aller joueur avec ton propre quintette hors de nos frontières, en France par exemple ?
J’aimerais bien, évidemment. Mais comme chaque musicien du groupe fait aussi son “truc”, c’est parfois casse-tête. Le guitariste a son groupe, la saxophoniste a le sien, le pianiste aussi… c’est donc complexe pour booker tout le monde en même temps. En plus, en ce qui me concerne, il y a le fait que Jacques Schwarz-Bart a fait son quartette et qu’il a sorti son album entretemps. Egalement avec Han Van Oosterhout. Et comme il tourne en France, si je veux démarcher là-bas, j’arrive avec presque le même line-up… c’est mort. Pour l’instant.
Les concerts, c’est pour quand alors ?
Et bien, j’attends une réponse des Jazz Lab Series pour la fin d’année ou début d’année prochaine. Et avant cela j’espère bien trouver quelques dates pour “garder la main”. Pour le moment, j’essaie de faire parler de ce disque pour pouvoir ensuite grouper les concerts. De toute façon, je ne pense pas que ce disque soit un “feu follet”. Il a été pensé pour cela aussi, pour qu’il dure. Il est assez consistant, je pense.
Bref, «It Could Be The End», n’est qu’un début alors ?
Totalement ! (Rires)
21/05/2012 J. Prouvost

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